Extraits de courriers adressés à Gontran-Étienne, son époux décédé.
Extraits 5 – Livre 2, chapitre 4 : Un Monseigneur qui pleure suivi d’un prêtre qui rit
[…] « Y’AI ‘NG’NGAH, YOG-SOTHOTH H’EE-L’GEB F’AI THRODOG UAAAH. OGTHROD AI’F GEB’L-EE’H YOG-SOTHOTH ‘NGAH’NG AI’Y ZHRO »
Arnaud regarde horrifié la scène. Monseigneur est nu au centre d’un pentacle, en train d’incanter des phrases que nul être humain ne pourrait prononcer. Il s’agite suivant les pas d’une espèce de danse grotesque, tenant dans son seul bras valide le reste de son membre arraché. Face à lui, dans le pentacle, se trouve un groupe de chèvres bêlant de terreur. Tel un démoniste rompu, il prend régulièrement une des pauvres chèvres qu’il égorge de ses dents et s’en asperge goulument le corps de leur sang frémissant.
Arnaud ne sait que faire. Doit-il laisser faire ou pourfendre ce diable rouge et fumant ? Il ne cesse de se répéter que Monseigneur est aussi un mousquetaire, mais la scène lui donne la nausée.
Quand, au bout d’un moment, il voit des filaments sortir du bras coupé et, telles des tentacules sanguinolentes, s’accrocher au moignon de Monseigneur afin de se recoller, c’en est trop. En même temps que le bruit de succion écœurant issu de cette magie impie, Arnaud vomit le reste de sa bile.
La régénération du bras de Monseigneur (Vinci).
Je ne sais pas ce qui m’horrifie le plus, ce rite barbare épouvantable ou de voir Monseigneur nu… En tout cas, je suis très curieuse d’entendre les explications de Monseigneur. Cela va être épique.
[…] Ah oui, mon Aimé, une anecdote croustillante sur Monseigneur pour vous mettre en appétit. Arnaud nous a dit que quand Monseigneur est allé chercher les chèvres, il a pris un temps infini à négocier les animaux, sachant qu’il était au plus mal avec son bras arraché… Quel fesse-mathieu !!! Ne se rend-t-il pas compte que ce pauvre hère n’a que cela pour vivre ?
Surtout que ces animaux étaient destinés à une fin abominable.
[…] Notre évêque nous a sorti le grand jeu. Il a confirmé son talent à manipuler les émotions. Je ne saurai vous le reproduire avec la même verve, mais nous avons eu droit au spectacle de la triste enfance du petit Romain de Dieu. Pour faire court, le petit Romain a vécu une enfance malheureuse avec son père et grand-père, tous deux violents et méchants. Ces derniers, obsédés par la mort et l’immortalité, se destinent à devenir des liches. Comme ils ont l’instinct paternel très poussé, ils ont aussi formé leur cher bambin martyrisé au « noble art » de la nécromancie. Mais le petit Romain était très malheureux, alors, une fois qu’il eut fini d’être bien formé, il s’enfuya du domaine familial, rencontra Dieu et vola toute la fortune de ses adorables géniteurs.
Cela ne parait pas, mais quand c’est dit par Monseigneur, l’histoire tient de la tragédie grecque, et il nous arracherait presque des larmes.
Presque.
Je dois dire que c’est surtout un vague sentiment de dégoût qui domine mes émotions. Il doit exister d’autre façon de pratiquer la nécromancie que celle utilisée par les liches, je suppose. Et puis, je trouve que Monseigneur, au vu de la rondeur de ses joues, s’est bien remis de ses émotions. Hum… Je n’ai pas osé lui dire, mais Monseigneur devrait retirer ses bijoux avant de se lancer dans de tels discours, l’éclat des rubis à tendance à écorner la crédibilité de ses propos. Et lancer « Je tuerai mon père ! » est une malhabile conclusion.
Passons.
Les voies de Monseigneur sont manifestement peu compréhensibles.
[…] Nous enquêtons sur la deuxième zone des meurtres, celle qui semble impliquer des change-formes. Nous rencontrons Ghillain, un varigal peu amène habillé de peaux de bêtes, qui disposerait d’une bonne connaissance des fées. Il nous dit que le prêtre du village de Cul-en-fosses a voulu combattre l’influence du « pont » (celui de notre bataille) qu’il considère comme maléfique, et pour cela a fait détruire les autels païens de la forêt, provoquant ainsi la colère des Fées, ou Faes. D’où le molosse royal, créature uniquement envoyée par le roi des Faes. Il semble que l’affaire est plus grave que nous ne le pensions.
[…] Nous recevons enfin le chargement d’armes en argent alchimique livré par vouivre. Le dragonnier nous indique que sa vouivre a été perturbée par un village que nous identifions comme Cul-en-fosses. Il devient vital de s’y rendre.
J’ai eu une sensation extrêmement étrange en pénétrant ce village de 300 âmes : je me sentais forte et puissante, la meilleure pour dire vrai, comme si mon cœur n’était qu’orgueil. C’était très déstabilisant. L’église elle-même rayonne de puissance, semblable à un lieu de pouvoir. Ma perception est si nette que je ne comprends pas que d’autres ne l’ai pas remarqué avant, le village n’étant pas isolé ou difficile d’accès.
Le plus étrange reste cependant notre rencontre avec le prêtre, le père Berthon. Quand je le vois, je ne peux ignorer sa présence et son charisme, tellement puissant que je sens presque la chaleur du rayonnement sur ma peau. Et quand il parle… sa voix charnue me fait frissonner jusqu’au bas du ventre.
La conversation est elle-même assez étrange. Le père Berthon évoque la visitation d’un Saint, mais ne précise pas lequel et son discours est empli d’une espèce de fureur fanatique. Il lancerait à ce moment-là un appel à la croisade que cela ne me choquerait pas.
Mattéo parait fasciné par les propos du prêtre Berthon. Il me fait peur. Enfin, pour être exacte, les deux me font peur. Mattéo est parfois très… disons orthodoxe dans ses pratiques, mais je crains qu’il ne soit fasciné par le fanatisme guerrier de son interlocuteur. Mattéo, reprends toi ! Tu n’es que douceur et tolérance, je le sais !
Le père Berthon, visité par un saint ou possédé par un démon ?
[…] La conversation ne tarde pas à déraper. François, incapable de contenir son esprit frondeur, ne peut s’empêcher de placer ses blasphèmes coutumiers. François peut parfois être très agaçant, surtout quand il parle de religion et assène ses inepties dénuées de sens. Je prie très fort pour lui et son âme tourmentée, même si je sais que cela n’est pas forcément nécessaire, les âmes simples ont toujours une entrée au Paradis.
Par contre, le père Berthon n’a pas la tempérance comme qualité et assène sèchement un ordre de départ au blasphémateur qui, de façon surprenante, obtempère de suite.
Le ton monte ensuite très vite avec Guillaume. Et là… en levant juste un doigt négligent, il propulse hors l’église notre Guillaume. Sans même incanter. C’est le signe du Démon !!! J’ai très peur, mais je fais bonne figure jusqu’à ce que je réussisse à entrainer Mattéo loin de cette… chose.
Le pauvre Guillaume, blessé, nous dira par la suite qu’il a vu un être « posséder » le père Berthon et que cet être possède une puissance prodigieuse.
[…] Le varigal nous fait rencontrer trois change-formes lors d’une assemblée secrète. Ils sont venus avec un sac sur la tête. Je n’ai rien contre ces animaux, car ils sont créatures de Dieu, mais venir masqués n’est pas bon signe, cela indique qu’ils sont coupables. Soit. Nous avons besoin d’informations, alors pour le moment nous ne les chasserons pas.
Les change-formes
Ils nous indiquent que ce sont effectivement eux qui sont responsable d’une partie des meurtres, ceux de la deuxième zone. Ils l’ont fait sous les ordres de Baeld, le leprechaun gardien du pont, un être de grand savoir et de grande sagesse… que nous avons tué… Hum, si c’est cela, la sagesse des Faes, il faut s’attendre au pire.
L’être qu’a aperçu Guillaume est un être incommensurablement puissant et extrêmement âgé : il serait « un premier né de Gaïa », un maître des dragons, un être tout puissant antérieur à l’homme qui a eu tous les bienfaits. Il y a fort fort longtemps, manipulés par « l’esprit du Chaos », ces êtres se sont entretués, puis les dragons se sont rebellés contre eux. Cet être qui a chuté a été enfermé et mis en sommeil par la magie des Faes.
Je ne sais que penser de cette mythologie païenne, mais par expérience je sais que dans tout mensonge, il y a toujours une part de vérité.
Les hommes qu’ils ont massacrés étaient des « envoyés » de l’être qui contrôle le père Berthon. Soit. Est-ce que cela justifie leur crime odieux ? Nécessité fait force loi, dit-on, mais ces animaux devraient avoir un berger pour les guider et leur rappeler que la seule justice valable est celle de notre bon Roi bien aimé.